Newsletter - Impact de la réforme du droit des contrats sur les opérations de private equity et M&A
I. Consécration de la jurisprudence sur le non-respect des pactes de préférence
A. Principe
L’Ordonnance confirme la jurisprudence désormais constante relative à la possibilité d’obtenir l’exécution forcée des pactes de préférence, et innove en introduisant une action interrogatoire permettant de connaître la position du bénéficiaire du pacte de préférence dans un délai raisonnable (Article 1123 issu de l’Ordonnance[1]).
B. Application : impact sur la mise en œuvre des clauses de préemption
Dans l’hypothèse où un associé viendrait à céder ses actions à un tiers sans respecter la clause de préemption prévue dans un pacte d’actionnaires :
- L’associé bénéficiaire du droit de préemption pourrait demander des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi (et ce même si le tiers ayant fait l’acquisition des actions n’avait pas connaissance du pacte et était donc de bonne foi) ;
- L’associé bénéficiaire du droit de préemption pourrait demander la nullité du contrat de cession d’actions conclu avec le tiers et sa substitution au tiers acquéreur dans le contrat conclu, s’il peut démontrer que le tiers était de mauvaise foi car il avait connaissance (i) du pacte et (ii) de l’intention du bénéficiaire du droit de préemption de se prévaloir de ce droit.
II. Renforcement de l’efficacité des promesses unilatérales
A. Principe
L’Ordonnance renverse la solution consacrée depuis 1993 par une jurisprudence très critiquée (selon laquelle les promesses unilatérales ne pouvaient pas faire l’objet d’une exécution forcée dès lors que le promettant s’était rétracté avant la levée de l’option par le bénéficiaire).
Désormais (Article 1124 issu de l’Ordonnance[2]) la rétractation du promettant avant la levée de l’option est sans effet, et le contrat est valablement formé dès la levée de l’option par le bénéficiaire. Par ailleurs, le contrat conclu en violation d’une telle promesse avec un tiers en connaissant l’existence est nul (mais la substitution du bénéficiaire de la promesse dans les droits du tiers, comme c’est prévu pour les pactes de préférence, n’a pas été consacrée ici).
B. Application : impact sur la mise en œuvre des clauses contenant des promesses de cession (préemption, good/bad leaver, drag-along, tag-along)
Les pactes d’actionnaires contiennent de nombreuses promesses unilatérales. Avant la consécration légale de cette solution, et afin de garantir une sécurité juridique aux promesses, il était en pratique généralement stipulé dans les pactes que les promesses étaient irrévocables et qu’elles devaient faire l’objet d’une exécution forcée.
Désormais, la sécurité juridique est renforcée et la mise en œuvre des clauses des pactes d’actionnaires contenant des promesses devrait être facilitée.
III. Institution de la possibilité de révision du contrat par le juge pour imprévision
A. Principe
L’Ordonnance a renversé la célèbre jurisprudence Canal de Craponne de la Cour de cassation de 1876 (qui, au nom de l’intangibilité du contrat, refusait aux tribunaux le pouvoir de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qu’elles avaient librement acceptées) en instituant un mécanisme permettant au juge de réviser le contrat pour imprévision (Article 1195 issu de l’Ordonnance[3]).
B. Application : impact sur les clauses financières des contrats de cession d’actions et des pactes d’actionnaires
La pratique, notamment en M&A, a depuis longtemps développé la stipulation de MAC (« material adverse change ») clauses, afin de permettre à l’acquéreur de titres de se prémunir contre tout événement imprévisible entre la date du signing et la date du closing qui rendrait l’exécution du contrat particulièrement onéreuse / difficile pour lui.
Le juge peut désormais, et ce même en l’absence de MAC clause, réviser le contrat à la demande d’une des parties dont l’exécution des obligations est devenue excessivement onéreuse.
En ce qui concerne les opérations de private equity, les pactes d’actionnaires contiennent également des engagements contenant des formules de prix, liquidité, avec une valorisation convenue par avance entre les parties – et dont un changement imprévisible de circonstances peut rendre l’exécution excessivement onéreuse.
Cependant, et afin de ne pas laisser au juge la faculté de se substituer aux parties dans de telles circonstances, il est très probable que la pratique contractuelle continuera à voir définir directement, par les parties et leurs conseils, ce qui constitue un cas de révision pour imprévision et comment renégocier le contrat. La théorie de l’imprévision est d’ailleurs supplétive, les parties pouvant en écarter l’application en choisissant expressément (i) soit de supporter les conséquences de la survenance de circonstances imprévisibles, (ii) soit de définir elles-mêmes les conditions, circonstances et modalités de la révision pour imprévision.
IV. Institution d’une obligation légale de confidentialité
A. Principe
L’Ordonnance est venue instituer une obligation de confidentialité de nature légale pendant la phase des négociations (Article 1112-2 issu de l’Ordonnance[4]). Jusqu’alors, la pratique était de conclure, pendant les phases de négociations pré-contractuelles, des accords de confidentialité (NDA), de sorte que l’obligation de confidentialité prévue par le NDA était de nature contractuelle.
B. Application : utilité de continuer à conclure des NDA
En pratique, il demeurera néanmoins toujours nécessaire de conclure des NDA, l’enjeu de ces accords étant de préciser de façon exacte, notamment, les informations confidentielles (et celles qui ne le sont pas, et qui sont donc hors scope), la gestion du processus de leur transmission, la façon dont celles-ci peuvent être transmises en interne, leur restitution / destruction et la durée de l’obligation de confidentialité.
[1]Le pacte de préférence est le contrat par lequel une partie s'engage à proposer prioritairement à son bénéficiaire de traiter avec lui pour le cas où elle déciderait de contracter.
Lorsqu'un contrat est conclu avec un tiers en violation d'un pacte de préférence, le bénéficiaire peut obtenir la réparation du préjudice subi. Lorsque le tiers connaissait l'existence du pacte et l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir, ce dernier peut également agir en nullité ou demander au juge de le substituer au tiers dans le contrat conclu.
Le tiers peut demander par écrit au bénéficiaire de confirmer dans un délai qu'il fixe et qui doit être raisonnable, l'existence d'un pacte de préférence et s'il entend s'en prévaloir.
L'écrit mentionne qu'à défaut de réponse dans ce délai, le bénéficiaire du pacte ne pourra plus solliciter sa substitution au contrat conclu avec le tiers ou la nullité du contrat.
[2] La promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l'autre, le bénéficiaire, le droit d'opter pour la conclusion d'un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire.
La révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n'empêche pas la formation du contrat promis.
Le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l'existence est nul.
[3] Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe.
[4] Celui qui utilise ou divulgue sans autorisation une information confidentielle obtenue à l'occasion des négociations engage sa responsabilité dans les conditions du droit commun.