Décisions du 10 juillet 2023 du Conseil d'État concernant des sociétés vétérinaires

Par trois décisions du 10 juillet 2023 (n° 455961 – Univetis, mentionné aux tables du recueil Lebon ; n°442911 – Centre hospitalier vétérinaire NordVet et Clinique vétérinaire Saint Roch, publié au recueil Lebon ; et n°452448 – Oncovet, inédit au recueil Lebon), le Conseil d’État a rejeté les requêtes de sociétés vétérinaires contre des décisions de radiation prises en appel par le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires.

Le Conseil d’État confirme ainsi, dans ces trois décisions, la radiation définitive de ces sociétés vétérinaires par l'Ordre national des vétérinaires, au motif principal de la méconnaissance de la condition de contrôle effectif de ces sociétés par les associés vétérinaires.  Par ailleurs, le Conseil d’État rappelle le périmètre des conflits d’intérêts prohibés et les associés interdits.

I. Rappel des principes

A titre préliminaire, il est rappelé que les règles de détention du capital et des droits de vote, dans les sociétés de vétérinaires, sont prévues à l’article L. 241-17 du Code rural et de la pêche maritime (‘CRPM’), lequel dispose que :

  • Concernant les formes de société

Les personnes exerçant légalement la profession de vétérinaire peuvent exercer en commun la médecine et la chirurgie des animaux dans le cadre : 

1° De sociétés civiles professionnelles régies par la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles ; 

2° De sociétés d'exercice libéral ; 

3° De toutes formes de sociétés de droit national ou de sociétés constituées en conformité avec la législation d'un État membre de l'Union européenne ou d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen et y ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement, dès lors qu'elles satisfont aux conditions prévues au II du présent article et qu'elles ne confèrent pas à leurs associés la qualité de commerçant. 

  • Concernant la détention du capital et les associés interdits

1° Plus de la moitié du capital social et des droits de vote doit être détenue, directement ou par l'intermédiaire des sociétés inscrites auprès de l'ordre, par des personnes exerçant légalement la profession de vétérinaire en exercice au sein de la société ; 

2° La détention, directe ou indirecte, de parts ou d'actions du capital social est interdite : 

  1. a) Aux personnes physiques ou morales qui, n'exerçant pas la profession de vétérinaire, fournissent des services, produits ou matériels utilisés à l'occasion de l'exercice professionnel vétérinaire ;
  2. b) Aux personnes physiques ou morales exerçant, à titre professionnel ou conformément à leur objet social, une activité d'élevage, de production ou de cession, à titre gratuit ou onéreux, d'animaux ou de transformation des produits animaux ;

Il en résulte que, dans les sociétés de vétérinaires, (i) la moitié au moins du capital et des droits de vote doit être détenue par des vétérinaires exerçant dans la structure et que (ii) est interdite la participation directe ou indirecte de personnes physiques ou morales ayant une activité susceptible d’influencer les vétérinaires dans leur exercice.

Le Conseil d’État vient, par les trois décisions analysées, préciser ce que contiennent ces règles

II. Rappel rapide des faits des trois espèces

a. Décision n°452448 Oncovet

La société vétérinaire Oncovet, constituée sous forme de société par actions simplifiée au titre du 3° du I de l’article L. 241-17 du CRPM, est détenue (i) à 49,8% par la société commerciale IVC Evidensia France (laquelle détient 341.063 actions de préférence ADP A) et (ii) à 50,2% par les trois vétérinaires en exercice au sein de la société (lesquels détiennent à part égales 345.000 actions de préférence ADP B).

b. Décision n°442911 Norvet et Clinique Vétérinaire Saint-Roch

La société vétérinaire Centre Hospitalier Vétérinaire Norvet, constituée sous forme de société anonyme au titre du 3° du I de l’article L. 241-17 du CRPM, est détenue (i) à 49,99% par la société commerciale AniCura AB (laquelle détient 60.995 actions de préférence Actions A) et (ii) à 50,01% par les vétérinaires en exercice au sein de la société (lesquels détiennent ensemble 61.001 actions de préférence Actions B – les 4 actions restantes étant détenues par 4 autres vétérinaires).

Le Centre Hospitalier Vétérinaire Norvet détient à son tour 99,95% de la Clinique vétérinaire Saint-Roch (les 0,05% restant étant détenus par des associés vétérinaires).

c. Décision n°455961 Univetis

La société vétérinaire Univetis, constituée sous la forme de société d’exercice libéral (‘SEL’), est détenue à 100% par la société de participations financières de professions libérales (‘SPFPL’) Finexvet, laquelle est détenue à 100% par trois vétérinaires.

Il ressort des faits que les trois associés vétérinaires n’exercent pas la médecine et la chirurgie des animaux au sein de la SEL Univetis.

III. Apport quant au contrôle effectif des sociétés vétérinaires par les associés vétérinaires en exercice en son sein

a. Dans les deux décisions n° 442911 – Nordvet et Clinique Vétérinaire Saint-Roch et n° 452448 – Oncovet, le Conseil d’État rappelle que, alors même que les statuts et les pactes d'associés des sociétés vétérinaires prévoyaient formellement que les vétérinaires associés détenaient la majorité du capital et des droits de vote, en réalité, certaines stipulations privaient d’effet les garanties prévues par le 1° du II de l’article L. 241-17 du CRPM lesquelles, en exigeant la détention d’au moins la moitié du capital et des droits de vote par les vétérinaires associés exerçant dans la société, imposaient que ces derniers contrôlent effectivement la société.

Pour statuer comme cela, le Conseil d’État relève un faisceau d’indices.

***

  • Règles de majorité en assemblée. Les statuts prévoient que les décisions de l’assemblée générale ne peuvent être prises qu’à la majorité qualifiée des deux tiers, voire à l’unanimité – ce qui, compte tenu de la répartition du capital, implique que quand bien même les vétérinaires associés détiennent la majorité des droits de vote, aucune décision ne peut être adoptée sans l’approbation de l’actionnaire non professionnel;
  • Quorum en assemblée. Les statuts prévoient que l’assemblée générale ne délibère valablement (sur 1ère convocation pour une AG ordinaire, et dans tous les cas pour une AG extraordinaire) que si les actionnaires présents ou représentés possèdent au moins 51% des droits de vote – ce qui compte tenu de la répartition du capital, implique obligatoirement la présence d’un représentant de l’associé non professionnel;
  • Organe de contrôle – composition et compétence (organe qui, dans les faits, influe voire prend les décisions structurantes pour la société, lesquelles devraient être prise par les associés vétérinaires). La société vétérinaire est dotée d’un comité de surveillance (composé de 3 membres dont 1 nommé par l’associé non professionnel, 1 nommé par les vétérinaires en exercice et 1 nommé par décision conjointe des deux premiers membres) lequel valide l’ordre du jour et le projet de texte des résolutions soumis à l’assemblée générale, nomme et peut révoquer le président de la société et donne son autorisation préalable à un certain nombre de décisions du président, relevant de sa compétence propre [décision Oncovet] ; La société vétérinaire est dotée d’un conseil d’administration (composé de 3 membres dont 2 proposés par l’associé non professionnel), lequel a des compétences très larges notamment pour prendre des décisions structurantes pour l’avenir de la société, en particulier sur le choix des investissements ou la création ou la suppression d’un poste de vétérinaire [décision Nordvet et Clinique vétérinaire Saint-Roch] ;
  • Promesse unilatérale de vente d’actions de la société vétérinaire au profit de l’associé non professionnel. Les documents extra-statutaires contiennent une promesse unilatérale de vente des associés vétérinaires au profit du non professionnel, portant sur la majorité des actions de la société (aux fins ensuite de substituer tout personne de son choix), en cas de cession d’activité, de cession de tout ou partie de ses actions, de contentieux ou encore de modification de la loi conduisant à supprimer la condition de détention majoritaire de la société par des associés vétérinaires [Oncovet] ; La promesse unilatérale de vente, au profit de l’associé non professionnel, permet à ce dernier de prendre seul et à tout moment l’initiative de réaliser la promesse qui porte sur la majorité des actions du capital social de la société de vétérinaires et de se substituer toute personne de son choix [décision Nordvet et Clinique vétérinaire Saint-Roch] ;
  • Répartition inégalitaire des bénéfices et du boni de liquidation. Les statuts prévoient que les associés vétérinaires n’ont droit qu’à 1% du montant des bénéfices distribués (contre 99% au bénéfice de l’associé non professionnel); de même, le cas échéant, pour le boni de liquidation ;
  • Convention de vote. Le pacte d’actionnaire contient un engagement, à la charge des associés vétérinaires, de voter favorablement en assemblée générale à toute proposition d’affectation de sommes distribuables, dans le cas où le montant des investissements réalisés au cours de l’exercice écoulé est au moins égal à 1,5% du chiffre d’affaires annuel du même exercice.

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Dans les deux décisions n° 442911 – Nordvet et Clinique Vétérinaire Saint-Roch et n°  452448 – Oncovet, le Conseil d’État confirme ainsi la décision du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires au motif que, bien que les statuts et le pacte d’associés comportent des stipulations reprenant formellement les exigences de détention de « plus de la moitié du capital social et des droits de vote, directement ou par l’intermédiaire des sociétés inscrites auprès de l’ordre, par des personnes exerçant légalement la profession de vétérinaire en exercice au sein de la société », la conjonction de certaines dispositions privent d’effet les garanties prévues par la loi dès lors que les associés vétérinaires, quoique détenant la majorité des droits de vote, ne sont pas en mesure de contrôler effectivement la société.

Une interrogation demeure, sur le point de savoir si, prises isolément, ces circonstances auraient été de nature à contrevenir aux dispositions précitées du CRPM ou si c’est bien la « conjonction » de toutes ces circonstances qui a amené le Conseil d’État à statuer comme il l’a fait.

La lecture de ces décisions laisse penser qu’il s’agit de décisions de principe, qui trouveraient à s’appliquer de la même façon pour des SELs de médecins ou des SELs de biologistes (i.e., conclusion sur l’absence de contrôle effectif), compte tenu du fait que les règles applicables sont relativement similaires et que l’esprit des textes est le même.

b. Enfin, et cela était attendu, le Conseil d'État rappelle dans sa décision n°455961 – Univetis, que pour être inscrite au tableau de l’Ordre des vétérinaires, « une société d'exercice libéral ayant pour objet l’exercice en commun de la médecine et de la chirurgie des animaux doit notamment justifier que plus de la moitié de son capital social est détenue, directement ou indirectement par l'intermédiaire des sociétés inscrites au tableau de l’ordre, par des vétérinaires qui exercent la médecine et la chirurgie des animaux en son sein ». En l’espèce, les vétérinaires détenant indirectement (via la SPFPL) plus de la moitié du capital et des droits de vote de la SEL Univetis n’exerçaient pas la médecine et la chirurgie des animaux au sein de la SEL Univetis, le Conseil d’État a naturellement confirmé la décision du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires de radiation de cette société. 

IV. Apport quant aux conflits d’intérêts prohibés

Le Conseil d’État rappelle qu’il résulte des dispositions des a) et b) du 2° du II de l’article L. 241-17 du code rural et de la pêche maritime que la « détention, directe ou indirecte», de parts ou d’actions du capital social de sociétés vétérinaires est interdite aux personnes physiques ou morales qui, n’exerçant pas la profession de vétérinaire, « fournissent des services, produits ou matériels utilisés à l’occasion de l’exercice professionnel vétérinaire» ou qui exercent, à titre professionnel ou conformément à leur objet social, « une activité́ d’élevage, de production ou de cession, à titre gratuit ou onéreux, d’animaux ou de transformation des produits animaux ».

Il ajoute également que l’interdiction ci-dessus ne s’applique que pour autant que lesdites personnes possèdent, du fait de telles activités, des intérêts susceptibles d’influencer l’exercice, par les vétérinaires, de la médecine et de la chirurgie des animaux et, ce faisant, d’affecter le respect de leurs obligations déontologiques. La portée de cette précision – laquelle ne figure pas à strictement parler dans les textes – restera toutefois à clarifier.

Le Conseil d’Etat rappelle que tel n’est pas le cas d’une société qui ne fournit que des services de gestion (assistance comptable, financière, ressources humaines, juridique et administrative ainsi que de marketing et de négociation de prix, opérations financières, commerciales et immobilières) – de tels services supports ne pouvant être regardés comme « utilisés à l’occasion de l’exercice professionnel vétérinaire », de telle sorte que l’associé non professionnel (la société AniCura AB – décision Norvet et Clinique vétérinaire Saint-Roch – ou la société IVC Evidensia France – décision Oncovet) ne doit pas être considéré à ce titre comme un associé interdit.

De plus, s’agissant d’une autre société du groupe de l’associé non professionnel, le fait que la société holding de l’associé non professionnel ait une filiale qui exploite des marques d’aliments pour animaux, dès lors que ladite filiale ne détient elle-même, ni directement ni indirectement de parts dans le capital de la société vétérinaire, n’est pas de nature à interdire à l’associé non professionnel (AniCura AB ou IVC Evidensia France) d’être au capital de la société de vétérinaire.

Il s’agit ici d’un double rappel important : des services supports (activité de holding) ne sont pas des activités prohibées et les conflits d’intérêt s’apprécient au niveau de la détention directe ou indirecte du capital, mais non au regard d’autres sociétés du groupe n’ayant aucun lien capitalistique avec la société de vétérinaires.

Sur ce fondement du conflit d’intérêt, le Conseil d’État infirme la décision du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires – mais rappelle que les motifs tirés de l’absence de contrôle effectif (voir III. supra) suffisaient à justifier la radiation des sociétés vétérinaires.

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